La culpabilité du biberon
« Être soutenue pour l'allaitement », voilà ce que je lis au détour d'une page de magazine. Mon sang ne fait qu'un tour car déjà mes nerfs avaient été éprouvés quelques pages plus tôt.
En effet, je découvre ce petit encart après ce superbe article « Allaitement, des mamans peu motivées ». Déjà le titre est un reproche. On ose à peine imaginer s'ils évoquaient les femmes qui donnent le biberon. Les femmes oui, car on ne peut pas les appeler des mères puisqu'elles ne donnent même pas le sein les vilaines. Et ce n'est qu'un début. Dès la deuxième phrase, ils assènent un nouveau coup : « Mais, en dépit des recommandations, notamment celles de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) d'allaiter six mois, les femmes abandonnent assez rapidement. » Noter le vocabulaire employé : « mais », « en dépit de », « abandonnent ». C'est vrai comment ses personnes de sexe féminin osent se prétendre maman alors qu'elles ne suivent même pas les recommandations de l'OMS ? Elles mettent la vie de leurs enfants en danger. Il faut les dénoncer aux services sociaux.
Néanmoins (oui, moi aussi je peux utiliser des adverbes), ils essaient de comprendre ce fameux abandon, s'interrogent : « Marre d'un bébé collé au sein toute la journée ? Sentiment du devoir accompli ? » Ok, il faut parfois appeler un chat un chat. C'est vrai que ce n'est pas toujours évident les premières semaines d'avoir notre progéniture nous suçotant le téton toutes les 2h pendant 20mn. Puis, ils pointent du doigt l'éventuel ressenti de certaines mères : « devoir accompli ». A force de nous répéter qu'il faut allaiter, que c'est le meilleur lait pour le bébé, certaines mères en arrivent peut-être à donner le sein par obligation, par peur du regard des autres, des reproches plus que par réelle envie et cela, c'est vraiment regrettable. Et après, on s'étonne qu'elles arrêtent avant six mois mais il faut les comprendre, elles n'ont peut-être pas envie de poursuivre quelque chose qu'elles n'apprécient pas.
Marre d'avoir toujours un chiard collé au sein ?
Enfin, on nous indique que « Plus on est instruite, plus on est informée et plus on choisit ce qu'il y a de mieux pour son enfant. ». Ah, il faut donc avoir un bac+5 pour allaiter (pendant au moins six mois, rappelons-le) et pour savoir à quel point c'est bien de le faire. Si on a juste un BEP, voire un bac pro, on ne comprend pas tout sur l'intérêt du lait maternel. Voilà pourquoi certaines femmes donnent le biberon, parce qu'elles sont trop sottes pour savoir que c'est meilleur de donner le sein.
Je préfère tourner la page et passer à autre chose. Mais dans un dossier sur « Enceinte, même pas peur », je note un petit encart présenté comme un carnet d'adresses qui comporte notamment une rubrique sur le soutien à l'allaitement. C'est très bien. Ce n'est pas toujours évident, notamment pour le premier, de savoir comment s'y prendre, si on place bien le bébé, s'il prend assez, que faire en cas de douleurs, etc. C'est naturel mais un peu d'aide est souvent la bienvenue face à cette pratique ancestrale. Cependant, je me dis qu'au vue de l'acharnement médiatique à nous faire préférer l'allaitement, il ne serait pas inutile de créer une rubrique : « Être soutenue si vous donnez le biberon ». Car eux aussi, les odieux parents qui ont décidé de donner le biberon, peuvent avoir besoin de soutien face aux regards et critiques.
J'avais laissé mon article de côté afin de le relire avant de le publier quand ma collègue me relance sans le savoir sur ce sujet qui m'énerve. Elle m'apprend qu'en Espagne, il existe une poupée qui tète ! Et oui, les petites filles peuvent les allaiter et la poupée tète, c'est merveilleux ! J'ai une amie qui a deux filles et l'aînée a déjà imité sa maman qui allaite en donnant à son tour le sein à sa poupée. L'imitation est une chose mais de là à créer une poupée qui prend le sein, ne frôle-t-on pas la propagande ?
Je sais que je m'emporte facilement. Et si ça se trouve, les parents qui n'allaitent pas ne se sentent pas forcément agressés et culpabilisés par les discours médiatiques et médicaux. Parents de tout bord, allaitant ou biberonnant, éclairez-moi ! Que ressentez-vous ?